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D_Emploi à Marseille : Lutter contre le plafond de verre

Sophie CAMARD
Conseillère régionale EELV
Présidente de la Commission Emploi, Développement économique, Innovation
Enseignement supérieur et Recherche

17 octobre 2012

L'emploi à Marseille : Lutter contre le plafond de verre

 « Le plafond de verre » désigne une forme d'autocensure dans la promotion sociale d'un individu (accès à l'emploi, à la formation, déroulement de carrière). Marseille n'est pas une ville dénuée de grands équipements, de grands chantiers, d'investissements, d'universités. Même si ce n'est pas suffisant, ces projets génèrent des emplois et de l'activité économique. Cependant, beaucoup d'habitants se sentent rejetés de ces institutions : « Le port, les zones franches urbaines, les nouvelles technologies, Euroméditerranée, Marseille capitale de la Culture, ce n'est pas pour nous » entend-on souvent sur le terrain. Au delà d'une simple problématique quantitative (« crééer plus d'emplois »), il y a bien une problématique qualitative : permettre d' « accéder à l'emploi ». Lutter contre le plafond de verre marseillais consiste à réduire ce décalage entre certains secteurs dynamiques d'un côté, et la population de l'autre.

Sophie Camard Marseille La BusserineMarseille, Quartiers Nord, 2012

De nombreux diagnostics sur l'emploi à Marseille existent aujourd'hui. La Maison de l'Emploi de Marseille et la Conférence Territoriale Economie Emploi Formation de Marseille (COTEFE) en produisent. Ces diagnostics sont partagés et relativement connus de tous les acteurs de l'emploi et de la formation.

 Un chiffre permet de mesurer l'ampleur du défi de l'emploi : On recense actuellement 80 000 demandeurs d'emplois à Marseille, au sens large (catégories ABC)... sans compter les personnes en retrait du marché du travail. Par exemple, le taux d'activité des femmes est très bas dans les quartiers pauvres (15ème et 3ème notamment). Ces femmes ne sont pas comptées dans les statistiques de Pôle Emploi puisqu'elles sont « hors marché du travail ».

Compte tenu du fait que 25% des emplois sont occupés par des « hors marseillais »*, on dit souvent qu'il manque 100 000 emplois à Marseille pour éradiquer le chômage !

 * 25% n'est pas un chiffre si élevé : A La Ciotat ou à Vitrolles, où existent de grosses zones d'activité, c'est l'inverse : 75% des emplois sont occcupés par des habitants extérieurs... dont des marseillais !

 1. Une question très « structurelle » : Comment créer davantage d'emplois ?

 Marseille manque d'une stratégie économique lisible. Le tissu économique y est très diversifié, avec une forte dominante du tertiaire et des emplois publics. Cette caractéristique est un atout en période de crise car elle permet d'éviter des coupes sombres et brutales dans des secteurs très exposés (ex. l'automobile...). Elle est aussi un point faible parce qu'elle ne permet pas de construire une politique d'attractivé tirée par quelques secteurs de pointe qui irriguent les autres.

 La présence de nombreux emplois tertiaires, peu qualifiés, dans le nettoyage, la sécurité-gardiennage, le petit commerce, les aides à domicile n'est pas méprisable en soi. Mais il faut tirer vers le haut la qualité de ces emplois... Et ces secteurs ne permettent pas de crééer, à eux seuls, une stratégie économique. Il s'agit d'emplois résidentiels (services aux entreprises et aux particuliers) induits par d'autres activités.

 1.1. Construire une politique économique qui s'appuie sur quelques points forts :

 La santé : Les hôpitaux et cliniques, les maisons de retraite, font partie des principaux employeurs de la ville. Ces métiers restent en tension de recrutements. Il existe aussi des emplois très qualifiés dans la recherche médicale (Pôle Eurobiomed, Canceropôle), et des petites entreprises innovantes.

 La culture et l'audiovisuel autour du Pôle média de la Belle de Mai et des futurs équipements J4 (Mucem). Une agence dédiée de Pôle emploi sur l'audiovisuel à Marseille et un réseau d'entreprises structuré (Pôle régional PRIMI sur le cinéma, l'audiovisuel, le multimedia, les jeux vidéos) permettent de développer ce secteur qui reçoit aujourd'hui de forts investissements.

 Le tourisme : Il ne faut pas être « contre le tourisme » mais réfléchir à quel type de tourisme : tourisme « bling bling » avec bétonnage et hôtels de luxe ? Tourisme doux et durable, notamment pour protéger les Calanques ? On peut valoriser des emplois de qualité dans le tourisme si on y adjoint une démarche de qualité (gastronomie, éco-tourisme) et des compétences nécessaires dans la maîtrise des langues étrangères. La diversité d'origine et de cultures de la population marseillaise pourrait ainsi trouver une vraie valorisation économique.

 L'activité portuaire : Elle génèrerait potentiellement un quart des emplois dans cette ville et a un impact fort sur tout le littoral du centre au nord. Le développement du port de Marseille ne doit pas uniquement se construire sur la plaisance et le tourisme. Il peut générer aussi des emplois industriels dans la logistique ou encore la réparation navale (relance de la Forme 10).

 Le bâtiment durable : Les besoins en logements, en requalification urbaine, en efficacité énergétique, sont tellement énormes à Marseille que ce secteur devrait être un secteur clé de l'économie marseillaise, pour l'emploi et pour l'environnement. Un travail de coordination est nécessaire sur les formations, l'accès des habitants à l'emploi sur les chantiers, en insertion, en apprentissage, en emplois qualifiés.

1.2. Accompagner le développement des très petites entreprises

 Marseille regorge de très petites entreprises, parfois sous forme associative, autoentrepreneurs, petits artisans et travailleurs indépendants... La problématique est de mieux former et accompagner ces entrepreneurs pour qu'ils puissent développer leur structure et créer des emplois durables. Ce sujet est venu très fort pendant la réunion de la COTEFE Marseille-Aubagne.

 Sur la création d'entreprise, il existe un Service d'Amorçage des Projets (à la Maison de l'Emploi) dans les quartiers qu'il faudrait fortement soutenir et développer : Seulement 4 postes dont un menacé aujourd'hui !

 De manière plus globale, nous manquons d'outils de financement à la création, développement ou reprise d'entreprises. La Région PACA est en train d'abonder des fonds d'investissement et de ganrantie, mais à l'échelle du territoire régional. La Banque Publique d'Investissement peut apporter également des moyens. Le territoire marseillais ne devra pas passer à côté de ces outils.

2. Une question plus opérationnelle : Comment faire accéder les marseillais à l'emploi ?

 Créer des entreprises et des emplois à Marseille ne permet pas, en soi, de diminuer le chômage si les habitants n'y ont pas accès... Et s'ils n'ont pas accès non plus aux emplois dans d'autres zones d'activité : Ex. La zone d'emploi d'Aix est l'une des plus dynamiques de France !

 2.1. Permettre la MOBILITE

 Les difficultés de transports à Marseille deviennent LE problème saillant des politiques économiques et d'emploi. Le débat sur la métropole est principalement guidé par cet enjeu : sortir de l'insuffisance d'investissements et du manque de coordination dans les transports collectifs.

 La « mobilité métropolitaine » peut permettre d'élargir la gamme d'emplois et de métiers offerts aux habitants : aéronautique (Vitrolles/Marignane), énergie (Aix, Berre), chimie (Berre)... dans des secteurs en train d'innover dans l'économie verte pour survivre et se développer.

 Notons que la moitié des demandeurs d'emploi n'ont tout simplement pas le permis de conduire ! D'un point de vue écologiste, cela renforce la nécessité d'un maillage fin en transports collectifs.

 2.2. Un besoin de FORMATION

 A Marseille, seuls 65% des jeunes de 19-24 ans sont scolarisés. Dans les autres grandes villes universitaires, ce taux est de 75-80% !

 Outre le décrochage scolaire, la pauvreté est bien sûr le principal facteur explicatif : Les études coûtent cher dès qu'on sort du lycée public gratuit.

 Plus concrètement, l'information, l'orientation, le dialogue entre le monde économique (dans toute sa diversité) et le monde éducatif sont insuffisants, ce qui se traduit par un manque de stages, de contrats en alternance. Nous manquons de mobilisation et de plans d'action dans ce domaine.

 On peut aussi se poser la question du recrutement des Grandes Ecoles de Marseille (Ecole Centrale de Marseille, Euromed...) dans les quartiers populaires. Même si leur recrutement est – et doit rester - national et international, et même si des mesures existent pour tisser des liens entre ces écoles et leur territoire, il y a peut-être là une question à approfondir car elle peut être très symbolique pour réduire ce plafond de verre.

 2.3. LE LEVIER DES MARCHES PUBLICS

= Clauses d'insertion et plus généralement, vigilance sur l'apprentissage, l'emploi local

 Contrairement au reste du département, le secteur du bâtiment ne crée pas d'emploi en ce moment à Marseille... alors que cette Ville croule sous les chantiers !!!

Témoignage du CFA BTP de Marseille entendu à la COTEFE : « Les marchés publics sont tenus par de grands Groupes qui ne nous répondent pas quand on leur demande des contrats d'apprentissage pour nos jeunes ».

Les chantiers ANRU (100 M€ prévus sur la rénovation urbaine à Picon Busserine ou encore Malpassé) prévoient que 5% des heures travaillées soient réservées à des postes en insertion... « mais pas forcément aux habitants des quartiers concernés ». Et qu'en est-il sur les chantiers d'Euroméditerranée, du Vieux Port, du Mucem, de la L2 ?

Une politique plus volontariste est nécessaire sur ce sujet. Faire bénéficier les habitants du travail créé par ces chantiers paraît pourtant une évidence !

 Des bonnes pratiques existent, comme à Aubagne qui prévoit 10% d'emplois en insertion sur ses chantiers (ex. le tramway).

 A Marseille, le chantier d'insertion Pain et Partage fournit les cantines scolaires en pain produit localement. Leur projet est de devenir un organisme référent dans la formation des adultes aux métiers de la boulangerie et de créer une vraie filière de pain bio locale (alternative à la boulangerie industrielle, pas de concurrence avec les boulangers de proximité qui bénéficieraient au contraire d'une main d'oeuvre formée).

 Notons qu'il ne s'agit pas de concevoir l'insertion comme des emplois jetables à bas coût, mais comme le début de parcours professionnels, débouchant sur des formations, des validations d'acquis de l'expérience, et des emplois plus durables à la clé. Cela suppose une coordination entre chantiers d'insertion et organismes de formation.

 D'autres initiatives pourraient être prises pour donner des marchés à des structures d'économie sociale et solidaire, par exemple dans le tri et recyclage des déchets (projets en cours avec les ressourceries)

 La COTEFE Marseille a prévu de travailler sur les clauses d'insertion dans les marchés publics, en essayant de rassembler les gros donneurs d'ordre autour d'une même table.

 2.4. Les ZONES FRANCHES URBAINES : Une toute petite partie du problème

 Les deux ZFU (une ZFU Nord Littoral dans le 16ème, une ZFU 14ème-15ème Sud) sont contestées pour leur manque d'efficacité. Le dispositif sera peut-être arrêté d'ici deux ans.

 En réalité, le bilan est mi figue-mi raisin. Les ZFU ont créé de l'emploi... mais pas suffisamment : 20 000 emplois depuis leur création, dont 1 782 recrutements ces deux dernières années.

Depuis 2009, elles doivent réserver la moitié des emplois créés aux habitants des Zones Urbaines Sensibles. Bilan : 39% des recrutements, soit 689 emplois sur les deux dernières années.

Des forums emplois sont organisés chaque année, à l'Ecole de la deuxième chance. Le forum du 10 octobre 2012 a proposé 320 offres, pour 2500 demandeurs d'emplois. C'est un ratio similaire aux années précédentes.

 Les dispositifs fondés sur les allègements de charge ne sont pas une réponse miracle. La qualité de la formation et des infrastructures de transports est bien plus déterminante dans la localisation des entreprises qu'un simple effet d'aubaine sur le « coût du travail ».

 2.5. Et toujours plus de COORDINATION

 Marseille ne manque pas d'institutions et d'acteurs économiques. Elle manque d'un cruel manque de coordination entre tous ces acteurs. C'est la principale demande qui est ressortie de la COTEFE de Marseille !

 Un groupe de travail devrait se mettre en place avec l'Etat et les autres collectivités, pour une Gestion Prévisionnelle des Emplois et Compétences, permettant d'identifier construire des plans d'action sur certains secteurs d'activité.

 Avec l'Acte III de la Décentralisation, la Région pourrait devenir le pilote des politiques d'emploi (pour l'économie, c'est sûr)... à moins que la métropole marseillaise, si elle voit le jour, récupère cette compétence. Le feuilleton n'est donc pas terminé...

 La qualité de la gouvernance locale a donc un impact sur l'emploi, de même qu'un volontarisme politique très fort pour « produire du projet » entre tous ces intervenants... et faire converger tous les financements dans des plans d'action partagés.

Les acteurs : Les gros donneurs d'ordre (collectivités, gros établissements publics), la Maison de l'Emploi, Pôle Emploi, les Plan Locaux d'Insertion par l'Economie (PLIE), l'ADIE (micro-crédit), Intermade (pépinière ESS), le CNAM, la Chambre de Commerce, les Pôles régionaux implantés à Marseille (ex. PRIMI), Marseille Innovation... et tous les CFA, universités, lycées professionnels et organismes de formation !