Accueil B_Quand le plein emploi ne trouve plus à s’employer… Retrouvons le sens du global / local

B_Quand le plein emploi ne trouve plus à s’employer… Retrouvons le sens du global / local

Quand le « plein emploi » ne trouve plus à s'employer...
Retrouvons le sens du global / local

L'emploi est régulièrement cité comme le premier sujet de préoccupation des français. Tous les politiques se sentent l'obligation d'en parler et d'arriver avec leurs solutions pour réduire le chômage. Le Président Hollande résume lui-même l'enjeu de son mandat à l'inversion de la courbe du chômage. L'impuissance constatée à « relancer l'emploi » serait une des sources du discrédit de la politique.

Ce consensus public, tellement fort, devrait imprégner tous les acteurs, publics privés, économiques et sociaux.

Une étude prospective déclenche une prise de conscience...

 Les Comités de Coordination Régionaux de l'Emploi et de la Formation Professionnelle (CCREFP) ont précisément pour but justement d'assurer la concertation sur les politiques d'emploi et de formation, entre la Région (Elus, services), l'Etat (Direccte, Pôle Emploi), les Représentants des syndicats et des employeurs. Cette instance permet de coordonner et partager des diagnostics, des études, des évaluations de politique publique, de donner des avis. L'Observatoire Régional des Métiers (ORM) contribue régulièrement à ses travaux.

A la dernière réunion du CCREFP PACA, nous avions justement la présentation d'une étude prospective de l'ORM sur « L'évolution de l'emploi en PACA d'ici 2030 ».

Consulter l'étude ici : http://www.orm-paca.org/Exercice-de-prospective-regionale

Cette étude décline en PACA les travaux nationaux du Commissariat Général à la Stratégie et à la Prospective (ex-CAS) avec les hypothèses suivantes :

  • Vieillissement de la population et ralentissement de la croissance démographique qui s'accompagnerait encore d'une croissance de la population active (contrairement à d'autres Régions dans le Nord de la France), mais plus faible qu'aujourd'hui ;

  • Application des scénarios macro-économiques nationaux du CAS ;

  • Ventilation des emplois selon la structure sectorielle et productive spécifique à la Région, telle qu'on la connaît aujourd'hui ;

  • Taux de chômage structurellement plus élevé en PACA que la moyenne nationale.

Elle conclut à un taux de chômage de 7,8 à 9,7% en 2030, soit la création de 177 000 à 187 000 emplois supplémentaires en 15 ans.

Evidemment, la présentation a fait réagir l'assistance : Suffirait-il de laisser les tendances démographiques et économiques actuelles se réguler « naturellement » pour diminuer le chômage de quelques points ? « A quoi servons-nous ici ? » dirent certains. « On veut justement agir sur l'existant, notamment le tissu industriel » dirent d'autres... Et finalement, quel est notre objectif : réduire de quelques points le chômage ? Est-ce suffisant, pas suffisant ?

Une idée me vint alors à l'esprit : « Peut-on raisonner à l'envers, en partant du résultat, pour identifier sous quelle conditions on arriverait au plein emploi en 2030 ? On mesurerait ainsi la marche à franchir, en changeant les hypothèse sur l'âge de la retraite, l'évolution démographique, des ventilations différentes entre secteurs d'activité etc... »

A cette question, je vis certains sourire à pleines dents, d'autres sursauter sur leur chaise, d'autres encore s'inquiéter (zut, il faut refaire l'étude ?)... Comme certains me l'ont confié, nous étions tous en train de réaliser que le « plein emploi » paraissait soudain inaccessible, presque provocateur. Je dis cela sans moquerie ou critique car moi-même, j'avais l'impression de balancer une énorme blague...

Chômage et politique : Fatalisme, réalisme ou mauvaise question ?

On peut tirer deux conclusions contradictoires de ma petite anecdote : La première, négative, serait de baisser les bras. Après tout, plus personne ne croit à la baisse du chômage, contentons-nous de faire un petit peu mieux : inversons la courbe, attendons le retour de la croissance et ça suffira pour être crédible aux yeux des citoyens. Je pense que cette perspective est condamnée à l'échec parce qu'elle isole l'objectif « emploi » du climat de confiance nécessaire pour en créer : le projet de société, les valeurs, la faculté de se projeter dans l'avenir, la sécurité du lendemain...

 Souvenons-nous du Gouvernement de Lionel Jospin (1997-2002), pendant lequel près d'un million d'emplois a été créé. Le débat de l'époque ne portait pas sur ce bilan mais sur l'impact respectif des 35 heures (à mettre au crédit du Gouvernement) et de la croissance mondiale (le Gouvernement n'y aurait été pour rien). Loin d'assurer l'élection de Lionel Jospin à la présidence de la République, ce bilan pourtant honorable n'empêcha pas l'un des pires scores d'un candidat socialiste au premier tour de la présidentielle. La concurrence à gauche pour faire toujours plus, certains discours d'impuissance comme « l'Etat ne peut pas tout », quelques faits divers bien médiatisés sur le thème de l'« l'insécurité »... et la messe fut dite.

 Et que dire encore de la progression du vote FN aujourd'hui ? A mon avis, peu d'électeurs votent FN en pensant que l'extreme-droite va résoudre le chômage. Ce parti ne fait même plus campagne sur un supposé lien « étrangers / chômage » comme dans les années 70-80. Il progresse sur des thèmes identitaires et protectionnistes qui n'ont pas forcément un rapport direct avec « l'emploi », mais sur ses pré-déterminants supposés.

 A force de promesses de gauche et de droite depuis plus de quarante ans, les citoyens ne sont plus dupes. A Marseille, la liste socialiste qui promettait de créer « 50 000 emplois privés » n'a guère convaincu : « C'est peut-être vrai qu'il manque 50 000 emplois, mais on sait bien que ce n'est pas le Maire qui va les créer... » Mais ce réalisme ne suffit pas à conclure qu'on n'attend plus rien du politique et qu'on accepterait son impuissance à agir, bien au contraire. Sinon, nous ne connaitrions pas les niveaux d'asbtention et de votes populistes d'aujourd'hui.

 Retrouver l'emploi en parlant des fondamentaux :
Qu'est-ce que la richesse ? Quelle Europe ? Quel rôle des Régions et territoires ?

La deuxième conclusion est donc de s'en sortir par le haut, de parler d'emplois, certes, mais de le replacer dans ses grands choix de société. En ce sens, parler d'écologie, d'égalité, de santé, de droits fondamentaux, d'innovation sociale n'est pas contradictoire avec l'emploi. C'est peut-être en avançant sur ces chemins là que la société française se re-mobilisera et sortira de sa célèbre « sinistrose » qui paralyse aujourd'hui les circuits de décision.

 Cela passe par trois niveaux de réflexion et d'action :

 1/ Renouer avec une vision stratégique et sociétale de la politique, avec de nouveaux indicateurs de richesse

Tant que le taux de croissance du Produit Intérieur Brut (PIB) sera la seule obsession de nos politiques, on ne s'en sortira pas. Certes, on n'a jamais vu le recul du PIB s'accompagner du plein emploi ni de progrès sociaux. Mais on oublie de dire aussi que la croissance du PIB n'est pas toujours riche en emplois (qui plus est durables et de qualité), à cause des gains de productivité sans cesse recherchés : Créer toujours plus de marchandises avec toujours moins de personnes. Les relocalisations industrielles s'accompagnent, par exemple, d'investissements dans la robotisation. La richesse peut ainsi revenir se produire en France, et c'est une bonne nouvelle, mais avec une intensité en emplois plus faible que par le passé.

D'un côté, la machine produit de plus en plus de richesses, de l'autre, l'homme a du mal à rémunérer son travail au juste prix, et de manière durable. L'homme a toujours travaillé et travaillera toujours. C'est le lien entre travail et revenu qui est en cause aujourd'hui. Par ailleurs, cela fait bien longtemps qu'une partie de la population tire ses revenus de placements financiers ou immobiliers sans que cela récompense un effort de son travail particulier. Cette économie de la rente d'un côté, et de la dépréciation du travail de l'autre, n'est-elle pas une des sources du problème ?

Les Etats n'arrivent pas à sortir d'un indicateur qui reste corrélé à des volumes de production matériels, sans valorisation des effets bénéfiques ou négatifs sur l'homme et l'environnement. On en est même réduits aujourd'hui à discuter d'intégrer ou non l'économie souterraine (drogue, prostitution) au PIB ! Des solutions techniques existent pourtant, pour que la comptabilité valorise, par exemple, l'usage d'un bien dans le temps (Ex. en calculant les revenus tirés de son exploitation la meilleure possible), et pas l'amortissement d'un bien pour être systématiquement mis au rebus et renouvelé.

Au delà de ces débats d'experts sur le contenu même du PIB, il est donc vraiment dommage que tous les travaux sur les autres indicateurs de richesse et de bien-être n'aient jamais été utilisés par les gouvernants. Ils permettraient de rendre concrets pour les citoyens ces grands enjeux perçus parfois, à tort, comme trop « stratosphériques » et de faire de meilleurs choix législatifs et fiscaux.

 2/ Retrouver un pouvoir d'influence sur les politiques européennes et la mondialisation.

A l'heure où nos économies sont imbriquées, comment imaginer une politique fiscale, monétaire, douanière, règlementaire qui ne soit pas européenne ? Pourquoi abandonner l'idée d'un pouvoir de régulation européen contre les paradis fiscaux, la spéculation, la dépendance énergétique fossile, le moins-disant social, à l'heure où nous en aurions le plus besoin ? Au soir du scrutin européen, chacun a pu mesurer la portée historique des résultats partout en Europe et regretter la confiscation du débat citoyen. Seul le début de mobilisation sur le Traité transatlantique a relancé un début d'intérêt sur ces questions. On mesure cependant les reculs du mouvement alter-mondialiste, de la société civile transnationale, et le vide qu'il crée pour la montée des populismes.

 3/ Réafffirmer la capacité d'agir localement

La confiance démocratique et la création d'emplois se fabriquent dans l'économie de proximité et le développement local. En effet, nous sommes tous soumis aux mêmes politiques européennes, au mêmes choix nationaux, à la même crise de valeurs... mais pourquoi le taux de chômage est-il plus bas dans certains territoires que d'autres ? Pourquoi, au sein de la future métropole Aix-Marseille-Provence, trouve-t-on côté à côte l'une des zones d'emploi les plus dynamiques de France (autour d'Aix) et des quartiers de misère qui survivent par l'économie souterraine, à Marseille ? C'est ici que les élus locaux, les acteurs économiques et sociaux du territoire peuvent reprendre la main et apporter leur pierre à l'édifice.

Il est possible, par exemple, de travailler davantage sur les métiers en tension repérés dans les bassins d'emploi, surtout quand les tendances sont structurelles. En PACA, nous savons par exemple que nous devons investir sur les métiers sanitaires et sociaux, les qualifications de techniciens, la montée en qualité des emplois de la restauration et du tourisme...

 Consulter l'étude de l'ORM : Métiers en tension, qu'en est-il en PACA ?

 La formation, souvent décriée, n'est pas la seule réponse. Les employeurs ont aussi des difficultés à exprimer clairement leurs besoins et rédiger des profils de poste. Ils passent par des réseaux de recrutements qui excluent toujours les mêmes de l'accès à l'emploi et alimentent la discrimination (une offre d'emploi sur trois passerait par Pôle Emploi). La construction d'un dialogue social territorial peut répondre à ce type de freins à l'embauche si elle repose sur les bons outils d'accompagnement et des acteurs représentatifs. Ce travail existe mais est souvent négligé par les élus qui ont besoin de résultats de court terme, et complètement méconnu des citoyens. Il contribue à la création d'emplois. Le renforcement des pouvoirs des Régions peut aller dans ce sens.

 En ce sens, la réponse du Gouvernement, qui est d'accélérer la réforme territoriale, et notamment celle des Régions, n'est pas une idée absurde... sous réserve qu'elle ne soit, une fois de plus, expliquée par de mauvaises raisons : Les économies budgétaires, plutôt qu'un discours mobilisateur sur des Régions fortes dans une Europe forte, une solidarité à construire entre les métropoles et les territoires ruraux. Une fois encore, le manque de vision et les objectifs purement comptables portent préjudice à la réussite même de cette réforme.

Pour mémoire : Communiqué du Groupe EELV sur la réforme territoriale

 Le plein emploi peut être un objectif écologiste... si on sait regarder plus loin

Si les écologistes critiquent le mythe de la « croissance », cela ne veut pas dire qu'ils ne croient plus au « plein emploi », dans la mesure où cet objectif pourrait s'insérer (et non s'opposer) dans des réflexions plus large sur le revenu d'existence, le productivisme (Exemple toujours donné : l'agriculture biologique est plus riche en emplois que l'agriculture industrielle), l'économie coopérative et de partage, opposée à l'économie de privations, qui permet à chacun de trouver sa place, une économie adaptée au climat et aux ressources locales, pour créer des emplois durables sur un territoire donné.

 A nous de convaincre que prendre soin de la diversité culturelle et de nos ressources naturelles est plus durable pour l'emploi, et plus rassurant pour la qualité de vie, que le dogme de la compétitivité d'un côté, ou le repli nationaliste et xénophobe de l'autre.

Sophie CAMARD, juin 2014