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Etang de Berre : De la pétrochimie à la reconversion écologique

Europe Écologie les Verts

Contribution de Sophie CAMARD,

Conseillère régionale PACA

13 octobre 2011

Pétrochimie : Des investissements nécessaires pour l'emploi, l'environnement

Un point d'entrée pour une reconversion verte de Fos - Etang de Berre

Dans la foulée de mon soutien à la mobilisation des salariés de la raffinerie LyondellBasell, et de ma participation à la table ronde du lundi 10 octobre, voici l'état de mes réflexions et propositions.

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Un constat semble partagé : Les raffineries françaises ne sont pas adaptées au marché français et aux normes environnementales. Elles produisent trop de fioul et d'essence - que nous exportons - et pas assez de gazole : Nous en importons environ 10 Millions de tonnes par an, sur une consommation d'environ 40 Millions de tonnes.

Les raffineries émettent du CO2 mais aussi du soufre (SO2) - en forte réduction ces dernières années - des NOx (Oxyde d'azote produit lui aussi par les fours, chaudières et craqueurs catalytiques), des composés organiques volatile (COV) dont les odeurs, des poussières et particules, des eaux usées.

Ainsi, la pétrochimie française est confrontée à un triple enjeu environnemental :

  • le réchauffement climatique : limitation des gaz à effet de serre dans la production et la consommation de carburant ;

  • les rejets polluants du raffinage, sujet plus large que le CO2 ;

  • la raréfaction des ressources naturelles : Indépendamment du CO2 et de la pollution, quelles réserves avons-nous en hydrocarbures ?

Ce constat ne conduit pas à fermer brutalement les raffineries, mais à les adapter pour améliorer leur performances environnementales, sauvegarder les savoir-faire et compétences des salariés dans un système de production intégré avec la chimie, et préparer la transition verte de l'industrie de l'Etang de Berre. Toute la difficulté est d'articuler des temporalités différentes mais aussi d'inciter ou contraindre de Grands Groupes, à la stratégie mondiale, à investir en France.

1. Dans l'immédiat, investir dans un raffinage propre et adapté au marché français

L'objectif est de réconcilier l'emploi et l'environnement, substituer aux importations une production locale et plus propre (problème des fuites de pollutions dans d'autres pays).

Les investissements possibles sont :

  • Des hydrocraqueurs modernes : Ils permettent de transformer le fioul lourd en composants plus légers comme le gazole en injectant de l'hydrogène, et d'enlever le soufre et autres impuretés. La teneur en soufre du gazole n'a cessé de diminuer ces dernières années, sous la pression des normes européennes : De 3000 ppm en 1990... à moins de 50 ppm aujourd'hui !

  • Des centrales de cogénération au gaz (gaz naturel et/ou issu du raffinage lui-même) : Elles permettent de produire simultanément de la chaleur et de l'électricité en diminuant très fortement l'utilisation de fioul lourd. Ces procédés sont plus efficaces en énergies et réduisent les émissions de soufre, de Nox et de COV.

Sur ce point, des synergies industrielles apparaissent avec Air Liquide, présent à Fos.

  • Des stations biologiques de traitement des effluents : traitement des eaux usées (huiles et graisse), boues, des matières en suspension...

Autour de l'Etang de Berre, seule la raffinerie de Lavera (Ineos) prend ce chemin vertueux d'investissements... contre les autres ou en accord avec les autres ? Coïncidence curieuse : Elle annonce cette semaine un plan de 220 Millions € d'investissements dans les 3 domaines cités précédemment... ce qui montre en tout cas que c'est possible !

La proposition de « mutualiser des investissements » entre les quatre raffineries a été évoquée à la table ronde du lundi 10 octobre (jusqu'à un Groupement d'Intérêt Économique – GIE ?), pour un montant estimé à 500 M€. Il faudrait pour cela rassembler tous les industriels concernés. L'État, qui a l'autorité pour cela, s'y essayera-t-il ? Il est bien absent jusqu'à présent. Sur ce territoire où chaque industriel joue sa partition dans son coin, il nous manque un véritable outil d'investissement territorial.

La « mise sous cocon » de la raffinerie LyondellBasell pendant deux ans va créer un électrochoc... vers le déclin en domino de toutes ces industries et de leur sous-traitants ? Ou vers une relance des investissements dans la perspective d'une reconversion progressive ? Nous vivons bien là un moment-clé.

Pour les salariés, notons que la Région PACA cofinance un fonds de formation professionnelle qui permet aux salariés licenciés économiques de la zone de l'Etang de Berre de bénéficier de « Contrats de Transition Professionnelle », avec un statut de stagiaire de la formation (Dispositif IRIS). Évidemment, nous sommes là dans le dernier recours... Mais la Région utilise ici sa compétence « Formation » et, à ce jour, des suppressions de postes sont malheureusement prévues à la raffinerie LyondellBasell d'ici mars 2012, sauf retournement de situation. Voilà bien un gâchis social. La transition écologique ne peut pas se réaliser sur des sites industriels pollués à l'abandon. Elle doit partir de cet héritage et du savoir faire des salariés pour développer de nouvelles activités qui réconcilient emploi et environnement.

2. Préparer reconversion et diversification : Passer d'un pôle pétrolier à un pôle Carburants verts, Recyclage industriel et Énergies nouvelles d'ici 10 à 15 ans

L'ultra spécialisation du Grand Port Maritime de Marseille (2/3 des trafics sont des hydrocarbures) et de sa zone industrielle (les 4 raffineries) sur le pétrole, qui était une énorme rente est devenue une faiblesse.

Du point de vue du Grand Port, les principaux relais de diversification identifiés sont le gaz naturel (terminaux méthaniers), les trafics de conteneurs (FOS 2XL et 4 XL) et les plateformes logistiques (sans parler ici des voyageurs et croisières à Marseille). Ces relais remplaceront difficilement la rente pétrolière. Le gaz naturel ne permet pas de sortir de la dépendance aux hydrocarbures. Le développement des conteneurs et de la logistique ne peut, quant à lui, se réaliser sans investissements dans le transport ferroviaire et fluvial, source d'emplois répertoriés aujourd'hui dans « l'économie verte ». Ce développement doit respecter certains espaces naturels riches en biodiversité, comme la lagune du Caban Nord, menacée aujourd'hui par un projet de canal fluvial tracé en ligne droite en plein milieu de ces espace naturel.

Les écologistes soutiennent les projets de plateformes multimodales (ex. chantier de Mourepiane à Marseille). Loin d'opposer biodiversité et transport fluvial, nous proposons d'étudier un tracé le long de la voie ferrée, qui contournerait la lagune, et d'étudier avec le Conservatoire du Littoral la possiblité d'acheter ces terrains, ce qui aiderait à financer d'ailleurs le projet.

Cependant, on ne répond pas ici à la question de l'avenir de la pétrochimie et des industries du proche Hinterland. En raisonnant sur les espaces industriels existants, nous proposer de passer, à terme, du « Pétrole » aux « Carburants » et « Énergies nouvelles ».

En effet, le carburant, ce n'est pas seulement le pétrole. Nous pouvons avancer en direction de deux sources de diversification :

  • Valoriser de la biomasse : résidus agricoles et forestiers, paille... Biocarburant de deuxième génération qui ne touchent pas aux surfaces agricoles mais qui utilisent leurs déchets : Attention cependant, a bien dimensionner la production par rapport aux ressources locales ;

  • Valoriser le CO2 produit par la zone industrielle (ou transporté par bateau jusqu'au port !) grâce à des micro-algues : Dans le cadre des Investissements d'Avenir, la Région PACA est bien positionnée pour accueillir un pôle de recherche dans ce domaine (« Greenstars »), ce qui devrait doper les projets et expériences en cours.

Un projet comme VASCO, qui étudie la possibilité d'une filière transport, captage, stockage et valorisation du CO2 sur l'Etang de Berre mérite d'être étudiée. Selon moi, le stockage du CO2 ne peut pas se justifier pour lui-même, sans penser sa valorisation, dans une logique de recyclage et d'économie circulaire (ou « écologie industrielle »). Plus de 30 Milliards de Tonnes de CO2 sont émises chaque année dans le monde et on en valorise pour le moment que 150 Millions de tonnes (source Ademe) : Il y a de quoi faire pour conduire le double objectif de réduire et recycler le CO2, et faire avancer la recherche en ce sens.

Autour de l'Etang de Berre de gros émetteurs de CO2 comme Arcelor Mittal (acier) pourraient être directement intéressés par ce type de projet. Et puisque l'on parle ici d'acier, de chimie et de recyclage industriel, je soutiens, avec mes collègues écologistes, l'idée d'une filière de démantèlement-recyclage des avions et bateaux, qui permettrait là aussi d'entrer en synergie avec la métallurgie et la chimie implanté autour de l'Etang de Berre. Cette filière pourrait devenir rentable avec la hausse du prix des matières premières (dont l'acier) mais elle dépend surtout d'un changement de législation nationale et europénne : obligations faites aux armateurs et constructeurs de penser la déconstruction dès la conception, en intégrant les coûts dans le prix du navire, et en prévoyant des provisions pour déconstruction. Cette activité nécessite aussi un savoir faire et un strict respect des normes pour le traitement des déchets toxiques, le désamiantage. En attendant, la filière pourrait avancer sur le créneau des bateaux de plaisance et sur celui des navires militaires, qui dépendent directement de l'Etat. Cette filière répond à un réel besoin et est défendue aussi bien par les écologistes que par la CGT.

Il y a les carburants, le recyclage, mais aussi les énergies renouvelables.

La biomasse peut servir à produire aussi du bio-gaz, qui fait partie des énergies renouvelables. A ce sujet, où en est l'unité de méthanisation promise pour faire passer la pilule de l'incinérateur de Fos ?

Et pour finir sans être exhaustive, l'avenir de la zone, c'est peut-être aussi les énergies éoliennes et marines. La Région PACA soutient, par exemple, un projet de site d'expérimentation pour des éoliennes flottantes au large de Fos. Actuellement, ce projet est à l'arbitrage au Sommet de l'État car il rencontre l'opposition de la Base militaire à Istres. Sortira-t-on d'une opposition caricaturale entre l'Écologie et la Défense ? Les éoliennes flottantes nous éloigneraient-elles de la pétrochimie ? Oui et non... puisqu'elles permettent d'utiliser des savoir-faire issus de l'industrie navale... et des plateforme pétrolières offshore !

Dans tous ces domaines, la recherche avance. Nous avons besoin maintenant d'installer des démonstrateurs, des prototypes qui prépareraient une industrialisation à horizon de 10-15 ans. La faisabilité de ces projets dépend aussi de facteurs économiques comme le prix du baril de pétrole, de la tonne de CO2 ou des matières premières. Mais elle avancera aussi par de forts investissements publics, portés par une vision politique. Dans un contexte de crise financière, industrielle et sociale, voilà de quoi agir dans l'immédiat, pour préparer un avenir pas si lointain !

Sophie CAMARD

Conseillère régionale PACA

Présidente de la Commission Emploi, Développement économique,

Innovation, Enseignement supérieur et Recherche

Cet article a servi de base pour un entretien avec Marsactu : Quel-avenir-economique-pour-letang-de-berre-apres-lelectrochoc-lyondellbasell ?