Accueil Economie Emploi Sécuriser l’emploi… ou les licenciements ?

Sécuriser l’emploi… ou les licenciements ?

Alors que la Guerre au Mali focalise l'attention médiatique, certains partenaires sociaux (Medef, CFDT-CFTC-CGC) ont signé, le 11 janvier 2013, un Accord National Interprofessionnel qui, sous couvert de « sécuriser l'emploi », organise un niveau de flexibilité et de suppression des protections face au licenciement sans précédent.

Les silences de l'accord, et l'absence de comparaison avec ce qui existe aujourd'hui, rend ce long texte de 24 pages (+ annexes) difficile à évaluer en dehors des connaisseurs et techniciens du droit social. Voici quelques éléments :

 « De nouveaux droits pour les salariés » : Ce titre du chapitre I montre bien l'évolution de notre droit social : Il repose de moins en moins sur des droits « collectifs » et de plus en plus sur les droits de l'individu, isolé sur le marché du travail : droits rechargeables à l'assurance chômage, compte personnel de formation (reprise du DIF existant) peuvent être séduisants mais n'entend-on pas par là que le chômage est une responsabilité individuelle du demandeur d'emploi ? Comment les salariés les plus précaires, les moins formés, peuvent-ils s'orienter seuls ? Être formé suffit-il à trouver un emploi ? Où sont les engagements des branches et des employeurs à donner de la visibilité ?

La généralisation prévue d'une couverture santé et prévoyance mettra de plus en plus en concurrence les assurances privées et la sécurité sociale, sur un « panier de soins » défini par l'accord. Quand on augmente les prélèvements pour la sécurité sociale, c'est une insupportable charge sociale qui grève la compétitivité des entreprises. Quand on oblige à cotiser à une assurance privée, c'est un nouveau droit pour les salariés.

Les entreprises recevront un nouveau petit cadeau qui relève typiquement de l'effet d'aubaine : une exonération de cotisation chômage pendant trois mois pour l'embauche d'un jeune de moins de 26 ans en CDI.

Dans ce chapitre, on trouve la fameuse sur-taxation des CDD courts (inférieurs à trois mois). Or, ces contrats courts représenteraient seulement 30% des CDD. Leur taxation va renforcer l'Intérim qui, lui, n'est pas taxé mais se voit, au contraire, conforté en tant que branche dans cet accord.

Le volet information des salariés sur la stratégie de l'entreprise (Titre II) est aussi porteur de surprises. En effet, il existe déjà (lois Auroux de 1982) la possibilité de recourir à des experts indépendants et extérieurs, pour éclairer la stratégie de l'entreprise et présenter toutes les données économiques évoquées dans l'accord. Ce recours à l'expert risquera bientôt de se limiter à du commentaire d'un document rédigé par la Direction, financé au rabais, en partie sur le budget du Comité d'Entreprise (contre 100% payé par les Directions aujourd'hui). Cela valait bien un petit avis du Comité d'Entreprise en contrepartie pour faire croire qu'on gagne un droit supplémentaire.

Dans ce chapitre existe un véritable scandale : En cas de refus d'une mobilité interne imposée par l'employeur, le salarié ne sera plus licencié pour motif « économique » (le mieux indemnisé) mais pour motif « personnel ». Les salariés les plus précaires et les moins mobiles vont être victimes de plein fouet de cette mesure.

Le IIIème chapitre nous propose de « sécuriser l'emploi », avec la reprise des accords emploi/compétitivité de Sarkozy, qui permettent de faire du chantage au salaire et au temps de travail en cas de difficultés de l'entreprise. Pourquoi prévoir cette mesure si une autre permet de mieux recourir au chômage partiel ?

Une série de mesures protège les procédures de licenciements des recours judiciaires, ou sont changées en faveur de l'employeur : homologation préalable d'un plan social (s'il en reste !) par l'administration du travail, réduction et encadrement des délais de recours devant les tribunaux, priorité au critère de compétence professionnelle devant les critères sociaux dans l'ordre des licenciements. Le texte cherche-t-il à empêcher les juges de protéger les salariés, comme certaines jurisprudences récentes sur des plans sociaux annulés ?

 Lire le Syndicat de la Magistrature :
http://www.syndicat-magistrature.org/L-accord-national.html

Plus loin, on a prévu d'innover avec le « contrat de travail intermittent ». Aujourd'hui on a déjà  l'annualisation possible du temps de travail, avec des périodes basses et des périodes hautes. Demain, la flexibilité ira jusqu'à faire alterner des périodes travaillées et non travaillées, en fonction de l'activité de l'entreprise. Et pourquoi pas en finir avec le salaire mensuel lissé pendant qu'on y est ? On pourrait revenir au « salaire à la tâche », comme au XIXème siècle, se serait bien.

Cet accord est la traduction sociale du « pacte de compétitivité ». Il se veut social-démocrate ? Il est purement libéral. La social-démocratie repose sur des syndicats forts et des négociations collectives de branches fortes, secteurs par secteurs, qui permettent de négocier sur les salaires, l'emploi, les formations, d'anticiper les départs en retraites, les possibilités d'embauches des jeunes. Une politique social-démocrate consisterait à faire coïncider des champs de négociation sociale avec une politique d'investissements économiques et industriels, et pas à faire voter de manière dispersée des emplois d'avenir par là, des contrats de génération par ci, en se rendant compte, après coup, qu'on doit identifier les « secteurs d'activité » concernés.

Au lieu de cela et au nom d'un hypothétique « choc de confiance », on cède au cynisme qui consiste à penser qu'en licenciant plus facilement, on embauchera plus facilement. Les vagues de licenciements ne sont pas prêtes de s'arrêter, s'ajoutant déjà aux centaines de milliers de ruptures conventionnelles, permise par la forte flexibilité qui existe déjà aujourd'hui.

Pour changer cela, il reste encore l'examen parlementaire, la mobilisation sociale, et la bataille judiciaire : Cet Accord est-il représentatif sans la signature de la CGT et de FO et alors que le Medef est en pleine crise de représentation lui-même ?

 Pour ma part, je continuerai de penser que la création d'emplois dépend avant tout des perspectives de création d'activité, des carnets de commandes remplis, de l'innovation dans de nouveaux produits et services, de la qualité des formations et des infrastructures, et pas d'une énième réforme du code du travail en défaveur des salariés.